Après Montaigne, nous allons à la rencontre de Montesquieu et Mauriac en ce mercredi 14 septembre.
Nous avons découvert le château de Montaigne, dimanche 11 septembre au retour de Saint-Emilion. Aujourd’hui la journée sera consacrée à Montesquieu et à Mauriac.
Le château de la Brède est resté la propriété de la famille de Montesquieu durant 9 siècles, jusqu’en 2004. Il est maintenant administré par la Fondation Jacqueline de Chabannes du nom de la dernière descendante. Entouré de larges douves, il est situé dans un parc immense de 150 hectares. L’ancienne bâtisse miltaire a conservé quelques éléments du château-fort : les passerelles, le souvenir des 5 ponts-levis, les arbalétrières, les machicoulis et la tour de défense du XIII° siècle. L’arrivée des canons ayant rendu inutile ce type d’architecture et les guerres d’Italie ayant permis de découvrir les beautés architecturales d’une tout autre facture, le château de la Brède est devenu un lieu de villégiature. Un mur de protection est abattu et des fenêtres laissent entrer la lumière. Nous observons les particularités de la cour fermée, en particulier les blasons des différentes familles et les colombages rajoutés.
Nous pénétrons dans l’entrée et nous sommes frappés par la présence de 6 colonnes torsadées de chêne teinté ébène au XIX° siècle. Leur solidité permettait de soutenir le poids de la bibliothèque composée de 5000 livres, des rayonnages et des dallages. Le bois, bon isolant, est présent des murs au plafond. Montesquieu, « propriétaire -récoltant » vigilant, demeurait sur son domaine de mars à octobre. Magistrat pendant 10 ans, il vendra sa charge pour se consacrer à l’écriture. Il fréquente les milieux parisiens et voyage dans de nombreux pays d’Europe dont il rapporte divers souvenirs. Une malle en bois léger de peuplier, pouvant contenir une charge de 30 kg, témoigne de ses déplacements. Il voyage aussi dans le temps car un buste le représente en citoyen romain, œuvre d’un ami sculpteur. Sa passion pour l’étude de l’empire romain nous a laissé un ouvrage important dont je parlerai ce soir à la veillée.
A l’étage les chambres n’ont pas changé depuis le XVIII° siècle, sauf celle de l’épouse, Jeanne de Lartigue. Cette chambre a été décorée au XIX° siècle dans le goût troubadour de la période romantique : couleur rouge, motifs à fleurs et animaux. Le mariage de Montesquieu relève d’un arrangement. Jeanne de Lartigue, épouse fortunée et possédant des terres fut une bonne gestionnaire. Le mobilier, les tentures des lits, le baromètre, le cabinet de toilette aménagé dans le mur atteignant 1, 90 m d’épaisseur et les portraits de famille sont toujours là. Sa fille Denise, épouse d’un cousin âgé, donnera naissance à 4 enfants et assurera la descendance sur 7 générations. Elle fut aussi la secrétaire sans doute la plus patiente de l’écrivain qui en compta 15 à son service en 30 ans. Le plafond de la vaste salle des gardes- 216 m2- est en forme de bateau. Les livres de l’immense bibliothèque n’y sont plus. Ils ont été vendus pour certains ou donnés à la bibliothèque de Bordeaux en vue d’une meilleure conservation. Notre visite des lieux s’achève par le salon et la chapelle de la Comtesse de Chabannes.
Malagar, situé sur la commune de Maixant, aux confins de plusieurs régions touristiques et viticoles, domine la vallée de la Garonne, la ville de Langon et la forêt des Landes. Une explication étymologique est proposée : mauvaise garenne exposée à tous les vents. Le domaine a appartenu aux moines Célestins de Verdelais sous l’Ancien Régime. L’arrière-grand-père de François Mauriac l’acquiert en 1843 et l’écrivain en hérite en 1927. Pour lui, ce sera un lieu d’inspiration et un havre de paix propice à l’écriture jusqu’en 1968.
A l’instar de Montesquieu, Mauriac fut lui aussi un propriétaire viticulteur attentif à la production des 14 hectares de vignes sachant préserver les méthodes de culture et de vinification en les associant aux techniques modernes indispensables à l’amélioration de la qualité du vin. La visite guidée nous fait partager l’univers et l’intimité du Prix Nobel de Littérature. La cuisine nous rappelle que celui-ci a vécu l’arrivée du XX° siècle. L’électricité n’ayant été installée qu’en 1937, de nombreux outils et ustensiles de conservation de la chaleur sont toujours en place : jardinière en faïence, bassinoire, fers à repasser… La cendre servait à blanchir le linge. Dans la salle à manger aux couleurs d’ocre et miel, sont exposés les portraits de la famille. François Mauriac et son épouse ont eu deux garçons et deux filles. Claude, le fils aîné est devenu écrivain, éditorialiste, et a été secrétaire du Général de Gaulle. L’une des filles, Claire épouse Wiazemsky, aura deux enfants : Anne, actrice et écrivain et Pierre, dessinateur humoristique connu sous le pseudo de « Wiaz ». Le vestibule à double ouverture plante le décor des romans : le parc, les vignes, la plaine de la Garonne, Langon et la forêt landaise à l’horizon. Sur les murs, divers tableaux évoquent Bordeaux, la ville natale, et Paris, en contraste avec la province. Des portraits de célébrités rencontrées sont visibles dans le salon. Le bureau, rajouté à l’emplacement du cuvier est une pièce froide. Une vaste salle d’exposition, aménagée dans l’ancien chai à vin rouge engage le visiteur à découvrir toute l’œuvre et l’itinéraire de l’écrivain à travers les événements du XX° siècle. Patrimoine du Conseil régional d’Aquitaine depuis 1985, le domaine est classé monument historique depuis 1996. Ce lieu de mémoire propose de mai à octobre de nombreuses manifestations culturelles.
Après le repas du soir, le groupe me rejoint dans une salle mise à notre disposition et je brosse les grandes lignes de l’œuvre Montesquieu (1689-1755) qui a donc vécu sous Louis XIV, la Régence de Philippe d’Orléans et Louis XV. Les Lettres persanes paraissent sans nom d’auteur en 1721. Les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains suivent en 1734 et proposent une nouvelle conception des événements historiques, obéissant, selon Montesquieu, à une logique profonde et non au hasard. Attentif aux découvertes scientifiques de son temps, Montesquieu a collaboré aussi à l’Encyclopédie. L’Esprit des lois, en 1748 est un travail écrit sur 20 ans, aboutissement de ses voyages, observations et lectures. Dépassant la notion de loi qui commande ou interdit, Montesquieu reprend la notion de loi physique pour l’appliquer au domaine politique. L’ouvrage, remettant en question la monarchie absolue, est mis à l’index et l’auteur publie en 1750 une Défense de L’Esprit des Lois. J’ai choisi de m’attarder sur les Lettres persanes. Obéissant à la mode de l’Orient et du roman par lettres, cet ouvrage met le pittoresque au service d’une réflexion philosophique sur la relativité des coutumes et la recherche d’un ordre universel bâti sur la raison. Dès 1721, tout Montesquieu est déjà dans ces pages badines et graves. Je lis quelques extraits illustrant la critique de l’absolutisme de droit divin, celle du fanatisme religieux et de l’hypocrisie sociale. Montesquieu n’a rien perdu de son actualité.
Hélène Charpentier.