Voici ma présentation du second roman de Jean Tedesco : Le vigneron dans la cuve.
Le vigneron dans la cuve.
Ce roman de Jean Tedesco, tiré à 50 exemplaires aux éditions Grès & C ie en 1921 comporte 211 pages.
L’illustration austère en noir et blanc de la couverture représente un bassin d’eau et un large escalier conduisant au parc d’un château dissimulé par de grands arbres noirs agités par le vent. Un énorme nuage blanc se détache de cet ensemble inquiétant d’aplats sombres et de lignes noires.
Jean Tedesco né à Londres en 1895 est décédé à paris en 1958 ou 1959 à Paris. Il a été directeur de la revue Cinéa et du théâtre du Vieux Colombier où il assurait la projection de films d’avant-garde dans les années 1920 à 1928. Il adapte à l’écran avec Jean Renoir, La petite marchande d’allumettes de l’écrivain danois Andersen et réalise quelques productions cinématographiques dont des courts métrages et des documentaires comme Napoléon Bonaparte, empereur des Français ou Sur les chemins de Lamartine.
Auteur d’articles sur le cinéma et d’une correspondance avec certaines célébrités du théâtre comme Serge Pittoëff, il a publié un recueil de poèmes, Sonatines, et deux romans : La première illusion du capitaine Tramp et Le vigneron dans la cuve. Le site de la Bnf : data.bnf.fr confirme que l’homme de théâtre et de cinéma est également homme de lettres mais La première illusion du capitaine Tramp est l’unique œuvre littéraire citée.
Le vigneron dans la cuve est dédié à Paul Claudel dont une citation, en page de garde, verset de la Quatrième Ode, explicite le titre car le contenu de ce roman ne s’apparente pas à un traité sur le travail de la vigne et du vin mais plutôt à l’ivresse verbale.
Si le vigneron n’entre pas impunément
dans la cuve,
Croirez-vous que je sois puissant à fouler
ma grande vendange de paroles,
Sans que les fumées m’en montent au
cerveau ?
L’explicitation de la métaphore est reprise à la page 178 dans une méditation du narrateur : Et je me répondis après une lucide méditation : « Je suis semblable au vigneron du poète. Je ne foule pour vendanges que mes paroles et mes pensées. Mon ivresse me conduira-t-elle jamais sur le chemin de gloire et de soleil ? »
L’intrigue du roman est particulièrement dépouillée et se réduit à la rencontre de trois personnages Deux frères profondément attachés l’un à l’autre par une affection admirative réciproque sont séparés quand l’aîné tombe amoureux d’une femme d’une beauté surnaturelle. Le cadet se décide à leur rendre visite dans le château de leur enfance quelques années plus tard et tombe à son tour sous le charme de cette femme exceptionnelle et mystérieuse qui lui fait découvrir la beauté des œuvres d’art et de la nature. Il résiste à cette passion qui transforme sa vision du monde et décide de partir. Les deux frères sont de nouveaux séparés.
Le cadre de l’histoire ressemble à celui d’un conte, hors du temps et loin du monde dans un château perché sur le flanc d’un massif alpin et proche d’une forêt propice aux chevauchées. Aucune indication n’est donnée sur le personnel nécessaire à l’entretien de la vaste demeure, de ses dépendances et de son parc immense et fleuri. Tous les problèmes matériels du quotidien semblent réglés par une baguette magique tenue par une main invisible.
Le retour à la réalité est cependant brutal quand le narrateur, la veille de son départ est averti par son aîné de l’assassinat de Benvenuto Calighardi « le jeune apôtre qui portait par l’Europe entière la noble parole d’amour. » et « les esclaves courbés continueront de flétrir l’univers et l’œuvre d’amour de Benvenuto Calighardi s’est achevée dans la mort et dans le sang. » Cette irruption de « la Mort dans le château » rappelle aux deux frères toute la misère du monde : « Et pourtant, l’immense misère des hommes dure depuis des siècles ! Dans la grande ville industrielle, les hordes d’ouvriers glissent au petit jour vers les prisons de brique rouge dont les cheminées vertigineuses crachent une fumée âcre qui se répand alentour et noircit les visages. Si la lumière naissait dans une telle nuit ? Par les taudis des quartiers pauvres, la maladie, la pauvreté, la faim, la mort font une lugubre procession. Et l’immense misère des hommes attend que se lèvent les apôtres qui entraînent les foules à leur suite ! »
Le récit du narrateur en trois parties - Je te parlerai des attentes, Le Dieux ténébreux et La feuille sibylline - composées chacune de cinq ou six chapitres, s’articule donc entre son arrivée et son départ du château pour aller retrouver le monde des hommes, l’animation d’une ville méridionale, les champs, la mer, le soleil avec « le sentiment irrésistible que cette joie triomphale ne pouvait être faite que pour la magnificence de la vie. »
Chaque partie de ce récit à la première personne est précédée d’une citation d’André Gide pour les deux premières et de Paul Claudel pour la troisième suggérant la lecture de ces deux auteurs pour en éclairer la compréhension car la narration comme les dialogues sont entrecoupés de méditations sur l’amitié fraternelle, la jeunesse, la grâce et la beauté d’une femme énigmatique, les livres et la pensée, la vie, la souffrance, les dangers du progrès, la mort et la création artistique comme réponse possible aux diverses interrogations : « La vie qui s’achève est pareille à l’œuvre qui se termine. Alors on voit l’ensemble, cet ensemble, cette totalité sans lesquels il n’y a pas de compréhension, de beau possible ! Une vie qui continue, c’est un marbre inachevé, une symphonie interrompue, un poème tronqué. Mais, quand le rideau tombe, on pense, on revoit, on comprend, on recrée. »
Le vigneron dans la cuve, second roman de Jean Tedesco semble indiquer son choix de se consacrer ensuite au théâtre et au cinéma.
Hélène Charpentier.