Voici un texte de Gauthier Villars retrouvé dans un manuel scolaire de 1928 : Le livre unique de français ( lecture, grammaire, orthographe, composition française) , Cours moyen et supérieur, page 322, sur les 422.
Coufi-Coufou.
Il y avait une fois une pauvre femme, si pauvre qu'elle demeurait dans un tonneau troué. Un jour qu'il pleuvait à torrents, arriva l'enchanteur Merlin déguisé en mendiant.
" Ha! dit-elle, voilà un plus malheureux que moi!... Venez ici dans mon tonneau!... vous laisserez passer la pluie."
L'enchanteur entra et, regardant Coufi-Coufou, il fut frappé de l'air désolé de la vieille.
" A quoi pensez-vous ? lui dit-il.
- Je pense au bonheur de celui qui a une petite maisonnette avec un joli jardin rempli de choux et de menues verdures.
- Puisque vous m'avez abrité, vous aurez cela demain."
Le lendemain, en effet, quand Coufi-Coufou s'éveilla, elle ne vit plus son vieux tonneau troué; elle se trouvait dans une gentille demeure ornée d'un jardinet, joli, joli comme tout.
Six mois après, l'enchanteur passa par là.
" Eh bien ! Coufi-Coufou, vous voilà heureuse à présent...
- Ah ! taisez-vous, messire, c'est bien trop malheureux d'être pauvre quand on devient ancienne comme moi. Il faut que je demeure toute seule au coin de mon âtre ou que je patauge dans les humidités et les neiges pour aller au marché. Ah ! c'est vraiment dommage, mon brave sire, que vous n'ayez pu me rendre riche d'un seul coup et assurer mes vieux ans !
- Consolez-vous, Coufi-Coufou, la fortune va vous sourire." répliqua l'enchanteur.
Le lendemain, quand Coufi-Coufou s'éveilla, un grand remue-ménage emplissait de bruit la maison. Regardant autour d'elle, notre commère se vit dans un li tout orné de dentelles, au milieu d'une chambre garnie de meubles précieux. Bientôt une servante entra et lui dit avec un respectueux salut :
" Madame, j'attends les ordres de Madame pour habiller Madame et commander le déjeuner de Madame."
Madame ! que de Madame ! la bonne femme n'en revenait pas ! Néanmoins, elle se leva, se laissa coiffer, puis vêtir et parer par la servante.
Lorsqu'elle se regarda dans l'immense miroir qui réfléchissait sa personne entière, Coufi-Coufou hésita à se reconnaître. Passagère hésitation. L'enrichie ne tarda pas, voyez-vous, à se prendre au sérieux. Et tout l'hiver, et tout le printemps ce ne furent que fêtes et liesses dans son palais.
Dans le courant de l'été, Merlin se posta certain jour sur le passage de son obligée, et sitôt qu'il la vit entourée de ses gens :
" Rien ne manque plus à votre félicité, je l'espère fit-il avec un sourire amusé ."
Mais comme l'enchanteur avait gardé sa défroque de pauvre hère, l'enrichie passa dédaigneuse, sans répondre.
" Holà, reprit-il, n'entendez-vous plus, Coufi-Coufou ? "
Celle-ci se retourna, courroucée, pinçant les lèvres :
" Apprenez, bonhomme, répliqua-t-elle, que vous avez l'honneur de parler à la princesse Coufi-Coufou ! Et si vous vous avisez de m'interpeler, je vous fais bâtonner, pan, pan, pan ! par ma valetaille."
Sur ce, elle continua fièrement sa promenade fièrement.
A l'aube suivante, quand la sotte créature s'éveilla, son château, ses chambrières, ses valets, ses atours, tout avait disparu.
Elle se retrouvait dans son vieux tonneau troué, Coufi-Coufou comme devant.
H. Gauthier- Villars. Le petit roi de la forêt. ( Hachette.)