AQUARELLE.
Je voudrais peindre ce paysage
en trempant dans l'eau du canal
ce peuplier sans feuille encore
qui a l'air vraiment d'un pinceau.
Sur l'écran du ciel comme une soie grise,
j'inscrirais d'une touche de laque violette très mouillée
le mouvement de cette colline à fin d'horizon,
puis, couleur de rouille et de fumée,
ces bois à demi dissous dans la brume,
et je réserverais pour la plume et l'encre de Chine,
ce bel arbre aux branches tordues
et enchevêtrées au premier plan.
Ce ne sera pas facile à rendre cet emmêlement
et cette ramification délicate,
et toutes ces brindilles capricieuses.
Il faudrait savoir dessiner.
Mais, ce sera ma récompense,
je garde pour le dernier moment,
d'un seul large coup de pinceau,
cette belle coulée d'émeraude pure
qui représentera le pré;
et tout à la fin, signature,
pour faire chanter tout le reste,
une petite tache de vermillon
aussitôt écrasée du pouce,
pour figurer le toit d'une maison dans l'éloignement
à travers ce tendre et mélancolique paysage
noyé d'eau sous un ciel d'hiver.
Emile Henriot. Les jours racourcissent.
1954. Mercure de France, éditions.