LE RAVIN DE HEURTEBISE de Bernard Totot. Editions Le Manuscrit, 2006. 171 pages.
Le titre de ce roman évoque un lieu sauvage et perdu mais l’explication nous est donnée dès les premières pages. En fait c’est un coin des Ardennes apprécié des sangliers, un refuge où la laie Rouf se sent en sécurité avec ses sept petits marcassins : « (...) sous les longues chaînes de clématites enchevêtrées qui pendaient des grands sapins. Elle avait le gîte et le couvert tout près : une coulée conduisait directement au champ de maïs et à l’eau fraîche du ruisseau voisin. » Les chasseurs ardennais n’ignorent rien des habitudes de l’animal emblématique de leur département. Rouf, quant à elle, sait bien qu’il faut se méfier des hommes et des chiens. La suite des événements lui donnera raison quoique le chasseur ne soit pas forcément conforme à l’image reçue.
Bernard Totot a été instituteur et directeur de l’école de Raucourt dans les Ardennes. Chasseur et pêcheur respectueux de la nature, il est également taxidermiste. LE RAVIN DE HEURTEBISE fait songer aux romans de Louis Pergaud ou de Maurice Genevoix. A la page 68, Antoine, sauveur du cochon sauvage justement, est d’ailleurs comparé à Raboliot.
Nous sommes donc plongés au cœur de la nature ardennaise présente dès le titre, au cœur d’une forêt brusquement ravagée par la tempête du siècle dernier obligeant les animaux à contourner le fatras indescriptible des arbres déracinés pour trouver leur nourriture et s’abreuver. Les petits marcassins de Rouf ne survivent pas mais Roufy, issu d’une autre portée est élevé à la ferme d’Antoine où se déroule l’essentiel des événements.
Fils de Gros-Noir et de Rouf, Roufy, le marcassin dont la mère a été tuée par erreur - car il n’est pas question de tuer une laie - Roufy donc, est le personnage central du roman. Blessé par un chien, il est soigné et nourri par le brave Antoine à qui il manifeste attachement et reconnaissance. Il sympathise également avec la chatte, l’une des cinq brebis et la jument. Néanmoins sa présence à la ferme ne saurait se prolonger définitivement. Roufy doit retourner d’où il vient, telle est la loi de la nature, telle est aussi la loi des hommes.
La composition du roman repose sur ce message de sagesse invitant au respect de la nature où le monde animal et le monde des humains doivent vivre ensemble. Un chasseur digne de ce nom doit le comprendre avec son cœur et sa raison et le jeune Maxime tenant le marcassin blessé dans ses bras déclare : « Ben !...je vais téléphoner à maman pour lui demander si je peux le soigner à la maison. » illustrant ainsi la phrase donnée en exergue du livre : « Il est un plaisir plus grand que celui de tuer, c’est celui de donner la vie. » de James Olivier Curwood ; (Le grizzli.) Maxime et Antoine donnent du chasseur une image fort éloignée de la brute sanguinaire.
De la cruauté à la tendresse, de la souffrance aux éclats de rire LE RAVIN DE HEURTEBISE offre un apprentissage de la vie sous toutes ses formes mais l’art du romancier consiste avant tout dans cette œuvre à restituer avec une grande finesse le point de vue de l’animal. Le lecteur est de plain pied avec Rouf qui protège ses petits, avec Roufy qui découvre les bêtes de la forêt, puis celles de la ferme d’Antoine, cette maison simple et accueillante dont il ne parvient pas à s’arracher. Le livre refermé, on reprend ces pages là sans se lasser, le bonheur de lire devenant le bonheur de vivre.
Hélène Charpentier.