La flûte enchantée de Mozart.
Pourquoi cette flûte nous enchante toujours…
La flûte enchantée désigne le dernier opéra de Mozart, un singspiel, œuvre parlée et chantée pour le théâtre, comparable à notre opéra-comique. Le titre de notre présentation rectifie une traduction erronée du titre original : Die Zauberflöte. Cette flûte enchante. Elle ne subit pas. Au contraire, elle agit sur celles et ceux qui l’entendent et assistent à la représentation. Elle est donc enchanteresse.
Ce dernier opéra d’une durée de presque trois heures comporte trois parties : une ouverture et deux actes. L’ouverture d’abord solennelle et devenant rapide et enjouée suggère ce qui va suivre. Le premier acte contient 19 scènes réparties en trois tableaux et le second trente scènes et dix tableaux. La musique est de Mozart et le livret de son ami Emmanuel Schikaneder. Il est possible que Mozart et deux ou trois amis aient contribué à l’élaboration du livret. La première représentation fut donnée le 30 septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne au théâtre auf der Wiieden dont Schikaneder était le propriétaire. L’ouverture de ce théâtre libre avait été autorisée par l’empereur Joseph II afin d’y représenter des œuvres en langue allemande compréhensible et donc accessible à toutes les classes sociales. L’opéra italien était réservé à l’élite, en particulier à l’aristocratie. L’établissement relativement spacieux disposait d’importantes ressources techniques pour les effets spéciaux mettant en valeur tout ce qui relève du merveilleux spectaculaire et propre au monde germanique. Il s’agissait de divertir, de surprendre et capter l’attention d’un public populaire durant presque trois heures comme nous l’avons précisé plus haut.
Le pari fut réussi et depuis 1791, il l’est toujours. Le constat du succès est aisé à illustrer. La centième représentation fut donnée un an plus tard. Une adaptation française vit le jour en 1801 sous le titre Les mystères d’Isis. L’écrivain allemand Goethe fut enthousiasmé au point d’envisager une suite tandis que la ville de Weimar comptabilisait 94 représentations. L’œuvre inspira d’autres compositeurs comme Peter von Winter ou Beethoven. Elle a inspiré les peintres pour les décors et les costumes dont ceux imaginés par Chagall. A Vienne, une sculpture représente l’oiseleur Papageno et sa progéniture. Parmi les cinéastes, l’adaptation du suédois Bergman mérite d’être signalée. Les philosophes Hegel et Kierkegaard ont commenté cette œuvre tandis que des écrivains comme Goethe ou Zimmer Bradley s’en sont inspiré. De nombreuses bandes dessinées et adaptations pour enfants ont vu le jour sans parler des metteurs en scène privilégiant tel ou tel aspect de l’œuvre et sans oublier les ouvrages et articles des musicologues.
Il convient donc de chercher les raisons d’un tel succès et de comprendre pourquoi cette flûte nous enchante toujours.
De toute évidence il s’agit d’une belle histoire qui nous transporte dans un monde imaginaire lointain à la fois dans le temps et l’espace, un monde où les épreuves sont surmontées. Nous apprenons au fil des péripéties à discerner les obstacles et les frustrations pour mieux compenser ceux de notre quotidien. Nous apprenons aussi à nous méfier des illusions et des dangers de toute existence. Une belle histoire est une fiction, en conséquence un mensonge qui aide à entrevoir la vérité.
Le livret de La flûte enchantée s’inspire de deux contes tirés d’un recueil de Wieland et Liebeskind : Lulu ou La flute enchantée et Les garçons judicieux. Il s’inspire également du drame de Tobias Philipp von Gebler : Thamos roi d’Egypte. Gluck ayant refusé de mettre ce drame en musique, ce fut Mozart, âgé de 17 ans qui s’en chargea et découvrit à cette occasion le rituel oublié de l’initiation religieuse égyptienne.
L’action consiste en une quête se situant donc en Egypte au temps des dieux Osiris et Isis.
La première étape de la quête consiste à délivrer Pamina, la fille de la Reine de la nuit, enlevée par le prêtre Sarastro. Elle occupe le premier acte et c’est le personnage principal, Tamino aidé de l’oiseleur Papageno qui est chargé d’accomplir cette mission.
La seconde étape, occupe le deuxième acte. Tamino et Pamina à peine réunis sont de nouveau séparés. Ils ont compris que Sarastro cherche à les protéger et ne leur rendra leur complète liberté qu’à l’issue d’une série d’épreuves initiatiques qui les rendront plus forts et plus sages afin de pouvoir lui succéder. La quête devenue spirituelle concerne cette fois Tamino et Pamina.
Présentation des personnages.
- Tamino est un prince japonais égaré venu chasser sur les terres de la Reine de la nuit. Il est poursuivi par un serpent - certains metteurs en scène choisissent de représenter un dragon - et s’évanouit. Trois dames (deux soprani et une mezzo) vêtues de noir et armées chacune d’une lance, tuent le monstre. Elles sont séduites par la beauté du jeune homme, se le disputent puis décident d’aller prévenir la Reine de la nuit don elles sont les messagères.
Ecoutons l’entrée en scène dramatique de Tamino, (ténor) qui appelle à l’aide puis l’arrivée des trois dames. « Zu Hiffe ! Zu Hiffe ! »
https://youtu.be/recCUsEdf8k
- Survient Papageno (baryton) qui fait croire à Tamino qu’il a vaincu le monstre à la seule force des bras. Papageno, dont le nom signifie perroquet, parle sans trop réfléchir. Il capture des oiseaux auxquels il ressemble plus ou moins selon la volonté du metteur en scène, pour les volières de la Reine de la nuit qu’il n’a jamais vue. Il les remet aux trois dames qui le rétribuent en nourriture et en boisson ce qui suffit à son bonheur. Néanmoins il serait plus heureux encore s’il pouvait capturer une demoiselle qui deviendrait sa femme. Papegeno est un homme simple, un personnage typique du singspiel qui était interprété par Schikaneder.
Voici la première apparition comique de Papageno. « Der Vogelfänger bin ich ja. »
https://youtu.be/5-Qq-DeEXhw
-Les trois dames reviennent et punissent Papageno de son mensonge en lui posant un cadenas sur la bouche. Elles remettent à Tamino un portrait de Pamina. Tamino tombe immédiatement amoureux.
Ecoutons Tamino contemplant le portrait. « Dies Bildnis ist bezau bernd schön. »
https://youtu.be/jldIvmnaRTA
-La Reine de la nuit (soprano colorature) surgit dans un bruit de tonnerre, exprime son désespoir et demande à Tamino d’aller délivrer sa fille prisonnière de Sarastro. La Reine de la nuit n’apparaît que deux fois dans l’opéra. Au premier acte nous la voyons et l’écoutons en mère éplorée. Au second acte elle ordonne à sa fille de tuer Sarastro afin de récupérer le Cercle solaire que le père de Pamina a confié à Sarastro et non à elle en raison de sa nature féminine. Elle menace de renier sa fille si celle-ci refuse de lui obéir.
Voici cet air très célèbre de l’acte II où la Reine de la nuit crie sa vengeance. « Der Hölle Rache Knocht in meinem Herzen. »
https://youtu.be/5U5fqO8oMw0
Pour l’aider dans sa mission les trois dames remettent la flûte enchanteresse à Tamino. Elles délivrent Papageno de son cadenas mais lui ordonnent d’aider Tamino en lui remettant un carillon magique. La flûte et le carillon seront d’un précieux secours dans les moments difficiles de toute l’histoire.
-Pamina(soprano) est une jeune fille innocente qui tarde à entrer en scène pour rencontrer son sauveur. Prisonnière de Sarastro, elle est surveillée par Monostatos, un Maure à la peau noire que certains metteurs en scène préfèrent représenter par un personnage blafard d’une laideur repoussante. Pamina doit résister à ses avances lubriques. Elle reprend courage quand Papageno lui annonce qu’un prince veut la délivrer mais elle est tentée par le suicide quand elle se croit abandonnée par Tamino qui refuse de lui répondre, ignorant qu’il subit l’épreuve du silence. A l’instar de son sauveur, son courage et son évolution sont spectaculaires. Elle résiste à l’amour charnel, elle refuse de tuer Sarastro, elle révèle à Tamino l’origine de la flûte qui réunit les quatre éléments et elle décide de l’accompagner dans les dernières épreuves de l’initiation.
Nous l’entendons ici exprimer son désespoir. « Ach,ich fül’s, es ist vermschwunde. »
https://youtu.be/5U5fqO8oMw0
-Monostatos( ténor) dont le nom signifie celui qui est seul, est au service de Sarastro pour surveiller Pamina. Sa traîtrise sera démasquée et il passera au service de la Reine de la nuit qui lui a promis Pamina s’il réussit à la renvoyer au royaume de l’obscurité, le royaume de Sarastro étant celui du jour et du soleil.
-Les trois enfants ou trois génies arrivent toujours au bon moment pour aider Tamino, Pamina ou Papageno dans les moments difficiles. Ils descendent du ciel dans une nacelle ou peuvent selon les mises en scène surgirent en courant mais leurs voix angéliques apaisent les personnages qui reprennent courage. Ici, ils empêchent pamina de mettre fin à ses jours.
https://youtu.be/kpfRIMgfFJQ
-Sarastro, (basse profonde) présenté comme un personnage cruel et maléfique se révèle au contraire sage, apaisant, éclairé, épris de justice, dominé par la raison et non la passion violente. Il n’apparaît qu’à la scène 18 du premier acte. Tout l’oppose à la Reine de la nuit associée à la lune tandis qu’il porte le Cercle solaire qu’elle veut reprendre. Sa voix grave et posée est à l’extrême opposé de la soprano colorature qui vocalise dans les aigus agressifs en staccato.
Nous l’entendons ici rassurer Pamina : « In diesen heil’ gen Hallen. » qui a refusé d’obéir à sa mère et a repoussé le chantage lubrique de Monostatos. Saratro protège Pamina en « des lieux sacrés où la vengeance est inconnue et si un homme y succombe l’amour le ramène au devoir. Ainsi il marche, guidé par la main de l’amitié, joyeux et content sur une terre meilleure. »
https://youtu.be/Ffs4KdxkoBM
- Les autres personnages sont : pour rappel les trois dames messagères de la Reine de la nuit et les trois enfants messagers de Sarastro, les esclaves, les prêtres et les deux hommes en armure. Les trois enfants interviennent pour guider Tamino et Papageno dans leur recherche du palais de Sarastro où Pamina est prisonnière. Ils interviennent également pour empêcher le suicide de Pamina et celui de Papageno. Les voici avec Pamina qui se croit abandonnée par Tamino et veut mettre fin à ses jours.
Une belle histoire racontée simplement.
En choisissant le singspiel, qui raconte en parlant et en chantant, Mozart tourne le dos le dos à l’aristocratie et affirme sa liberté de création. Il compose pour l’auditoire populaire des banlieues, une œuvre porteuse de paix et de fraternité tout en incorporant habilement une symbolique maçonnique où l’initiation du couple réhabilite la femme.
Dès l’ouverture solennelle puis enjouée et s’envolant dans une fugue, l’auditeur est averti du mélange des genres. Une opposition des personnages des situations et des éléments illustre ensuite cette première impression. Tamino,d’abord effrayé par le serpent(tentation de l’éveil des sens et des forces maléfiques ?) est transformé par l’amour qui lui donne le courage de délivrer Pamina en surmontant différentes épreuves qui le rendront digne de cet amour et de l’apothéose finale. Papageno au contraire n’est pas tenté par les difficultés et sa conception de l’amour se limite au besoin d’une compagne qui lui donnera beaucoup d’enfants. Sarastro s’opose à la Reine de la nuit. Il représente le jour, la lumière du soleil, la raison, la sagesse, la paix avec la victoire de l’ordre retrouvé sur le chaos. La Reine de la nuit comme son nom l’indique est l’allégorie de l’obscurité, des souterrains. Femme frustrée elle est guidée par la soif de vengeance. Le musicologue Jacques Chailley dans son ouvrage : La flûte enchantée, un opéra maçonnique, Robert Laffont, 1991 troisième édition, mentionne, à la page 100, un passage souvent coupé de la représentation et révélateur de l’incompréhension générale. Le père de Pamina époux défunt de la Reine et gardien du Cercle solaire qui englobe l’univers et le pénètre de ses rayons, en a confié la garde aux seuls Initiés, et à Sarastro en particulier. Les femmes étant écartées de l’initiation, il lui a déclaré avant de mourir : « Ces choses sont inaccessibles à ton esprit de femme. Ton devoir est de te soumettre entièrement, ainsi que ta fille, à la direction des hommes sages. » Or, Pamina, refusant la vengeance par le meurtre devient digne d’être initiée avec Tamino et quitte le monde de la nuit pour celui du jour. Papageno au service de la Reine de la nuit, passe lui aussi au monde du jour. Inversement, le traître Monostatos quitte le monde du jour pour celui de la nuit dans l’espoir de gagner Pamina qu’il ne désire que charnellement. Le couple Tamino /Pamina ne ressemble pas au couple Papageno/ Papagena. A l’opposition des personnages, il convient d’ajouter l’opposition des situations. Le début est dramatique. La fin est une apothéose. Les moments de doute et les tentatives de suicide sont compensés par des scènes bouffonnes : les trois dames se disputent le beau jeune homme évanoui, Papageno chante un cadenas sur la bouche, Monostatos et les esclaves se mettent à danser au son du carillon et oublient de capturer Pamina et Papageno. Le moment comique le plus apprécié du public est sans doute celui où Papageno aussitôt sa tentative de suicide voit arriver Papagena. Voici leur rencontre.
https://youtu.be/NQeXDsaiTJE
En plus de ce mélange de gravité et de bouffonnerie, il convient de mentionner les moments où le merveilleux spectaculaire des contes surprend le spectateur. Le spectacle s’ouvre sur un serpent monstrueux, la montagne s’ouvre dans le fracas du tonnerre pour l’arrivée de la Reine de la nuit, les trois garçons descendent du ciel dans une nacelle, Les animaux de la forêt viennent écouter la flûte de Tamino et le carillon de Papageno qui a fait fuir Monostatos et les esclaves, fera venir Papagena.
Néanmoins, cette belle histoire racontée simplement en mêlant le rire, les larmes et le merveilleux pour la satisfaction d’un large public, comporte également de nombreux éléments symboliques. Sarastro est l’élément masculin associé au soleil, au jour, à l’or, au chiffre 3, à la couleur rouge et au feu. Le chiffre 3 est omniprésent dans cet opéra : tonalité en mi bémol avec 3 bémols à la clé, 3 dames, 3 enfants, 3 temples (Nature, Raison, Sagesse) 3 prêtres, 3 esclaves et Sarastro apparaît à la scène 18, multiple de 3. On peut songer à la trinité Osiris, Isis et Horus, constituant l’unité et l’équilibre dans l’initiation égyptienne perdue que Mozart souhaitait vraisemblablement restaurer pour instaurer la paix du monde. Mozart avait composé la musique de Thamos roi d’Egypte pour le dramaturge von Gobler car Gluck, franc –maçon avait refusé la proposition. Mozart avait découvert l’initiation égyptienne et la franc-maçonnerie à cette occasion en 1773 à l’âge de 17 ans. Il sera initié plus tard en 1784 dans la loge de La Bienfaisance à une époque où sous l’influence du mouvement de l’Aufklarung signifiant élévation vers la lumière, on assiste à un raz de marée de la franc-maçonnerie répondant à un besoin de spiritualité dans une Europe en crise et proposant une alternative intellectuelle et spirituelle aux valeurs traditionnelles. La Reine de la nuit est l’élément féminin. Elle est associée à la lune, l’argent, le blanc ou le noir, à l’eau et au nombre 2, lequel associé au 3 de l’élément masculin aboutit à 5 moins présent que le chiffre 3 dans l’ensemble de l’œuvre. Si la flûte symbolise la musique qui permet de surmonter les moments difficiles de toute existence, Pamina rappelle à Tamino qu’elle réunit les quatre éléments. C’est un instrument à vent (air), fabriqué sous l’averse (eau), au bruit du tonnerre (terre), à la lueur des éclairs (feu). On retrouve ces éléments chez les personnages : Papageno, l’oiseleur représente l’air, Monostatos la terre des souterrains par lesquels il tente de revenir pour renverser Sarastro et reprendre Pamina laquelle représentant l’eau – elle a tenté de s’enfuir par un canal- va s’unir au feu de Tamino. L’eau symbole de vie doit s’unir au feu pour ne pas devenir glace.
Il est impossible de citer ici tous les symboles de cet opéra qui a réussi le pari de séduire à la fois les initiés et le public le plus large possible du XVIII° siècle à nos jours. L’ouvrage de Jacques Chailley (1) cité plus haut les explicite et les justifie en détail.
Qu’il nous soit simplement permis de conclure en écoutant le chœur final où l’unité retrouvée est exprimée par l’harmonie et l’unité des voix.
https://youtu.be/0rx0KFUwvNE
Hélène Charpentier.
(1) La flûte enchantée.Un opéra maçonnique.Jacques Chailley. Robert Laffont. Collection Accords. 1968,1983 et 1991. Notes. Illustrations. Bibliographie et références. Index auxiliaire.