La mine d'enfer de Jean-Claude Poitou. Le temps des cerises

Au matin du 10 mars 1906, un puissant coup de grisou fait voler en éclats les installations de la mine de Courrières. Le bilan est très lourd : 1200 mineurs ont péri dans la catastrophe.
Un rédacteur de "La petite France " est envoyé sur place, toutes affaires cessantes pour enquêter sur l'événement.Il espère être à la une d'une éventuelle édition spéciale et informe sa bien-aimée Lucie d'un retour rapide.
Sur place, l'ampleur du drame le fait changer d'avis. Il assiste bouleversé à la remontée des corps difficilement reconnaissables, découvre que cet accident résulte d'une série de négligences n'ayant pas pris au sérieux les signes annonciateurs du danger pour des raisons de rentabilité, puis se voit contraint de rester pour suivre au jour le jour la grève des mineurs et l'évolution des négociations. les revendications portent sur sur les conditions de travail et l'aide à apporter aux veuves et aux orphelins. Ceux-ci sont d'ailleurs très jeunes puisqu'à cette époque on descend à la mine à peine sorti de l'enfance pour un salaire moindre.
" Car le charbon, contrairement aux apparences, n'est pas une pierre noire qui salit les mains. C'est de l'or, l'or de notre époque, le sang de l'industrie." Tels sont les propos ( page 102) d'un autre journaliste rencontré au Grand Hôtel du Commerce. Il ne craint pas de préciser que les actionnaires empochent des bénéfices étourdissants, chaque année plus élevés, tandis que la misère accablent ceux qui perdent leurs vies à vouloir la gagner.
La grève dure. Au fond, dans les galeries, l'incendie n'est toujours pas maîtrisé. Ordre est donné pour d'abandonner les recherches et murer la mine. Trois semaines plus tard, 13 rescapés apparaissent au grand jour. La révolte, loin de s'apaiser, s'envenime : l'armée est partout. 11 bataillons en provenance des places fortes de l'Est débarquent dans le Pas de Calis. Un lieutenant " venu concourir au rétablissement de l'ordre déjà trop longtemps troublé est terrassé par des mains criminelles" titre la presse. Rafles, arrestations et jugements vont suivre.
Rentré chez lui à Paris, le journaliste n'est plus le même : " Si étrangers aux premiers jours, les gens d'ici me sont devenus proches. Je crois commencer à les comprendre. J'ai découvert un univers différent, attachant, et surtout méritant un immense respect. Je connais maintenant le poids d'un morceau de charbon en sueur d'homme, en fatigue d'homme, en vie d'homme. C'est cela que j'ai appris et j'en serais presque fier car si peu le savent." ( Page 123 )
Comment ne pas songer ici au nègre de Surinam atrocement mutilé par ses maîtres et propriétaires, dans "Candide " le conte philosophique de Voltaire, et déclarant : " C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe." ?
Quelques temps plus tard un scandale éclate et cette fois la presse interroge et accuse : " Où sont passés les millions destinés aux familles des victimes ?"
Reposant sur une solide documentation historique complétée par des documents iconographiques, le récit est d'une réelle qualité littéraire. Dans la peau d'un journaliste de l'époque, chargé de couvrir l'événement, on suit l'éveil d'un témoin qui s'efforce de comprendre avec sensibilité et rigueur les rouages impitoyables de l'économie et de la poilitique, écrasant sans aucun état d'âme ceux ... qui sont au Charbon. Aux rebondissemnts du reportage quotidien s'ajoutent les épanchements du genre épistolaire, et le lecteur s'attache lui aussi à l'univers de la mine.
On songe à "Germinal" de Zola, mais Jean-Claude Poitou réussit à s'en démarquer et à affirmer sa vision personnelle tout autrement.

Veuillez m'excuser d'avoir été un peu longue pour présenter ce livre qui donne à réfléchir. Je n'ai fait que recopier ma présentation rédigée en 2006 et destinée à une revue littéraire locale qui publia 18 n° en 6 ans d'existence.

Charpentier Hélène a écrit:

On songe à "Germinal" de Zola, mais Jean-Claude Poitou réussit à s'en démarquer et à affirmer sa vision personnelle tout autrement.

Et Germinal ce n'est pas la même époque ni le même lieu.

Des coups de grisou, il y en a eu d'autres, mais Courrières a été le pire, la grève qui l'a accompagnée, elle aussi a été très importante, elle a permis de faire changer certaines choses, mais malgré tout le travail à la mine a toujours été très dur et dangereux... mais ce n'était pas vraiment possible de faire autrement, il aurait fallu des machines qui n'étaient pas disponibles à l'époque.

Hélène, le bouquin de JC Poitou s'appelle la mine d'enfer et le premier tome s'appelle le temps des cerises, c'est ça ?

Le temps des cerises est le nom de la maison d'édition. Il n'y a qu'un seul tome.
Ce livre remue les tripes et fait prendre conscience de l'horreur économique, l'intérêt des uns sacrifiant sans état d'âme aucun, la sueur et la vie des autres.
Il y a des livres qui vous secouent, vous ébranlent, vous ouvrent les yeux et balaient d'un coup toute forme de candeur.
Je pense par exemple à "Racines" d'Alex Haley (sur le commerce triangulaire des esclaves) ou "Le sang noir " de Louis Guilloux ( sur le patriotisme et la goujaterie des donneurs de leçons qui sont à l'abri pendant la boucherie de la Grande Guerre) "De Verdun à Cayenne " de Robert Porchet.( Un partisan de la non violence en 14-18, considéré comme dangereux est envoyé à Cayenne avec les droits communs.)

Faut-il considérer pour autant que tout cela est bien fini et que l'humanité est désormais pétrie de justice et de générosité ? Mon fils,âgé de 27 ans est allé chez le coiffeur hommes-femmes la semaine passée au début des vendanges. Tout à coup, il a entendu, dans la partie femmes du salon ,cette remarque que je laisse à la libre appréciation de chacun:" Ah, quand je pense à tout l'argent qu'il va falloir dépenser pour payer nos vendangeurs !"

Et sa coiffure à la dame c'est la première chose qui me soit venu à l'esprit, ensuite ce serait : bein elle a qu'à vendeanger toute seule, elle va voir si c'est marrant et si ça ne vaut pas salaire. En ce moment, on fait les pommes de terre. Comme la machine a déplanter en abîme beaucoup et que nous ne sommes pas liés par un contrat puisque nous vendons au détail, le ramassage se fait à la main... une horreur pour le dos...
Société généreuse et respectueuse de la justice... je n'y crois absolument pas...