Je me suis souvent interrogée sur l’œuvre de Jules Ferry a rendu l'école accessible aux plus pauvres et de l'autre s'est lançé dans une politique de colonisation.
L'hebdomadaire LE POINT n° 2168 du 3 avril 2013, accorde de la page 183 à la page 185, un entretien à l'historienne Mona Ouzouf qui vient de consacrer un ouvrage de 128 pages à Jules Ferry. Elle tente de redonner une unité à l'homme qui d'un côté est considéré comme le héros fondateur de l'école gratuite, obligatoire et laïque pour tous, et qui de l'autre suscite l'indignation pour sa politique coloniale.
L'entretien est intéressant dans la mesure où l'historienne situe l’œuvre de Jules Ferry dans le contexte historique et social de l'époque après la défaite de 1870 .
Sa volonté d'instruire le peuple est liée au souci de mettre un terme à" l'atonie de la vie publique dans les campagnes et les bourgs. Les paysans qui représentent la majorité de la population voient passer les régimes politiques de manière indifférentes et résignée." Jules Ferry contribue à la liberté de presse, de réunion... et à l'élection du maire au suffrage universel. Si l'on compare le taux d'alphabétisation des soldats en 1870 avec celui de 1914, force est de constater qu'il y a une grande différence. On lui a reproché d'avoir maintenu l'enseignement de la couture aux filles pour les maintenir dans la domesticité. En fait, à une époque où le prêt à porter n'existe pas, cet enseignement est utile et les filles étudient la langue, le calcul, l'histoire, l'instruction civique , comme les garçons. Par contre ce ministre n'a pas perçu la richesse des cultures régionales et est demeuré indifférent aux inégalités sociales qui selon lui devaient être résolus par l'instruction
L'entreprise coloniale, selon lui, constituait une manière oblique de donner à la France la puissance nécessaire face à l'Allemagne victorieuse pour mieux reconquérir les territoires perdus. Les troupes coloniales joueront effectivement un rôle déterminant dans la première guerre mondiale." Les écoles algériennes qu'il a lui-même ouvertes étaient pour Jules Ferry une source immense de fierté. " Respectueux des populations musulmanes, il plaidera pour un enseignement de la langue et de l'histoire arabes ce que n'apprécièrent pas les colons. Son grand rapport sur l'Algérie mérite une relecture attentive. Les termes de race supérieure et inférieure sont à redéfinir par rapport à son entreprise de civilisation et dans le contexte de l'époque, les races supérieures étant celles qui sont alphabétisées et instruites ayant ainsi dépassé la barbarie.( Tiens, on pourrait comparer avec Condorcet réfléchissant avant de mourir aux progrès de l'esprit humain.)
Enfin, face aux conditions de la vie actuelle ( le bruit, le surabondance d'information, le torrent d'images l'accès inédit donné au savoir par la technologie et placé sous le signe de l'utilité immédiate et de la vitesse) elle note que nombre d’enseignants se débattent dans des difficultés inouïes et trouve injuste le procès qui leur est fait.
Jules Ferry. La tradition et la liberté. Mona Ouzouf. Gallimard . 128 pages 12 euros.
Je ne suis pas historienne mais j'apprécie la clarté de Mona Ouzouf qui stimule la curiosité et le souci de comprendre vraiment. J'ai beaucoup aimé sa présentation de La classe ininterrompue. Cahiers de la famille Sandre. 1780-1960, ouvrage dont je pense vous avoir déjà parlé.